SANTÉ : Les seuls facteurs de risque ne sont pas le tabac et l'alcool
Le cancer, maladie de l'environnement
Par André CICOLELLA, Corinne LEPAGE, Geneviève BARBIER et François VEILLERETTE *
Les derniers chiffres publiés sur la progression de l'incidence du cancer confirment que nous sommes en face d'une épidémie comme nous n'en avons jamais connu. Cette croissance est régulière depuis plusieurs décennies et aucun signe ne suggère que ce phénomène soit en phase de diminuer ou même de tendre vers un palier. Nous sommes à l'évidence confrontés à un phénomène lourd qui ne pourra être stoppé dans le meilleur des cas qu'à échéance d'une ou plusieurs décennies.
Cette croissance amène à s'interroger sur la pertinence de la stratégie de lutte contre le cancer mise en oeuvre depuis plusieurs décennies et que l'on peut caractériser comme le tout-thérapeutique. Les chiffres bruts de l'évolution en France entre 1980 et 2000 sont clairs ; sur les 63% d'augmentation, 25% sont dus au changement démographique (vieillissement de la population) mais 38% à d'autres causes. Il est réducteur d'expliquer cela par les seuls facteurs de risque que sont tabac et alcool ou par l'augmentation du dépistage. Les cancers qui progressent le plus (prostate, mélanome, sein, thyroïde, lymphomes, cerveau) n'ont, en effet, pas de lien démontré avec ces facteurs de risque. Quant au dépistage, il n'existe aucune démonstration qu'il soit responsable de l'ensemble de la progression des cancers du sein ou de la prostate.
En revanche, des facteurs de risque environnementaux majeurs sont connus. L'amiante sera responsable de l'ordre de 100 000 morts et les cancers professionnels sont estimés à 20 000 morts par an. Les cancers du sein et de la prostate sont liés aux produits chimiques perturbateurs endocriniens. Les cancers du poumon sont liés au tabac mais aussi au radon (2 500 morts par an), à l'exposition professionnelle (24% des cas) et à la pollution urbaine. Les pesticides sont impliqués chez l'adulte dans les certains lymphomes, les cancers de la vessie, du pancréas et du rein, et chez l'enfant dans les leucémies et tumeurs du cerveau.
S'il est nécessaire de continuer la recherche thérapeutique, il est nécessaire aussi de développer une action vigoureuse sur les facteurs de risque connus. Le poids de l'environnement est vraisemblablement plus lourd encore que ces facteurs identifiés comme le montrent les études sur les migrants ou sur les jumeaux. Les Japonais émigrés à Hawaï voient leur taux de cancer de l'estomac divisé par 4 et leur taux de cancer du sein multiplié par 4 par rapport à la population d'origine. Une étude sur les jumeaux scandinaves montre que les causes environnementales expliquent 73% des cancers du sein, 68% des cancers de la prostate et 65% des cancers colo-rectaux.
Nous constatons ces disparités, mais nous sommes incapables d'en analyser complètement les raisons. La toxicité et l'écotoxicité des substances qui font notre environnement ne nous sont pas connues dans l'immense majorité des cas. Seules 3% ont été évaluées. Il est donc hautement probable que de nombreux autres cancérogènes nous soient encore inconnus. Nous avons besoin de plus de recherche, mais aussi d'une autre façon de mener la recherche. La France ne s'est toujours pas dotée, contrairement à ses engagements de 1994, d'un plan national santé environnement. On ne peut afficher l'objectif de faire reculer le cancer et, soutenir comme l'ont fait récemment les gouvernements français, allemand et anglais, le lobby de l'industrie chimique contre l'initiative de l'Union européenne, le plan Reach, qui vise justement à évaluer les risques des substances chimiques non évaluées.