Voir: Les échappatoires au Protocole de Tokyo

LE PROTOCOLE DE TOKYO MORT OU VIF ?

Le Protocole de Kyoto, Mort ou Vif? La Conférence de Kyoto, vous vous souvenez? C'était en 1991, les pays industrialisés s'engageaient à réduire leurs émissions de six gaz à effet de serre (GES) de 5% en 2010 par rapport à 1990. Aujourd'hui, nous approchons d'un moment décisif pour la politique internationale de lutte contre les changements climatiques.

En effet, l'intégralité du Protocole de Kyoto devrait être arrêtée définitivement lors de la sixième conférence des parties signataires de la Convention (C0P6), au mois de novembre prochain. Nous verrons si la volonté des Etats est réelle et si cet accord permettra de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pour beaucoup, le Protocole reste obscur. C'est pourquoi nous avons fait le point sur ses enjeux, ses échappatoires et les mécanismes s'y rapportant, comme les permis de polluer dont tout le monde a entendu parler sans forcément savoir vraiment de quoi il s'agit.

L'objectif de réduction des émissions de CO² prévu par le Protocole, et réparti entre les pays industrialisés, oblige l'Union européenne à diminuer ses émissions de 8%, les Etats-Unis de 7%, le Canada et le Japon de 6% et la Russie à les stabiliser. Ce Protocole, adopté à l'unanimité par plus de 160 Etats après d'inextricables négociations, fait depuis lors partie de la Convention-Cadre des Nations-Unies sur le Changement Climatique adoptée lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992. Tous deux résultent cependant d'un processus politique, éloigné du constat de la communauté scientifique internationale.

  • Il faut savoir que: le réchauffement global est en cours (+0,5°C depuis le début du siècle);
  • la température moyenne du globe risque encore d'augmenter d' 1,5 à 5°C à l'horizon 2100;
  • une diminution de 60 à 80% des émissions de CO² s'impose pour stabiliser la concentration de ce gaz à effet de serre dams l'atmosphère au niveau de 1990.

Une chose est claire: le Protocole de Kyoto n'offre pas de réponse adéquate ni suffisante au risque croissant de catastrophes climatiques. La communauté internationale est par ailleurs fortement divisée sur les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre l'objectif de réduction. Pour couronner le tout, de nombreux Etats tentent évidemment d'échapper à leurs responsabilités! C'est ce que nous montre clairement le graphique ci-dessous.

Précisons tout d'abord que l'objectif des pays industrialisés de réduire leurs émissions de GES de 5% en 2010 était, pour des raisons structurelles, déjà atteint en... 1995! Depuis, les émissions de GES n'ont cessé d'augmenter régulièrement... Aujourd'hui, la réalisation ou non de cet objectif dépendra largement des décisions qui seront prises à la prochaine conférence sur les changements climatiques, en novembre.

C'est surtout le rôle des mécanismes de flexibilité qui devra être précisé. Ces instruments économiques reposent sur la notion de crédit d'émissions ou crédit carbone et sont censés permettre aux différentes parties d'atteindre plus facilement leur objectif Mais certains de ces mécanismes, tels les Permis d’ Emissions Négociables, ne sont pas innocents...

Et une tonne de CO², une!

Dans le système prévu par le Protocole, la tonne de CO² peut s'échanger entre pays industrialisés Ainsi, un pays qui n arrive pas à atteindre son objectif de réduction par des mesures domestiques achète des crédits carbone à un autre dont l'objectif est atteint. Ce système, aussi qualifié de permis de polluer, donne à un pays le droit d'acheter des quotas d'émissions à un autre pays dont l'objectif est plus facilement atteint. Le cas de la Russie est ici particulièrement préoccupant car le déclin de son activité économique entraîne une réduction "naturelle" de ses émissions de CO². Elle pourrait donc sans difficulté vendre, sous forme de permis de polluer, ses quotas d'émissions largement excédentaires, appelés communément air chaud.

Remarquons que ce mécanisme ne s’applique qu'entre pays "riches", les pays "pauvres" ne devant pas (encore) participer à l'effort de réduction. Comme indiqué sur le graphique, l'application stricte du Protocole de Kyoto sans commerce d'air chaud aboutirait à la réduction des émissions de GES la plus importante (environ -8%); si tout l'air chaud est échangé, le niveau d'émission atteint par les pays industrialisés en 20l0 correspondrait alors à l'objectif de Kyoto (-5,2%)!

Les forêts à la rescousse du climat?

Une échappatoire qui hypothèque la viabilité du Protocole concerne les puits de carbone Couramment utilisée dans le jargon climatique, l'expression recouvre l'ensemble des activités permettant d'absorber du CO² atmosphérique. Il s'agit essentiellement des activités agricoles et forestières, les végétaux absorbant du CO2 pendant leur croissance. La préservation des forêts s'accorde ainsi à la lutte contre les changements climatiques. Pourtant, faute de définition claire, l'application du Protocole de Kyoto pourrait au contraire contribuer à la déforestation!

En effet, dans l'état actuel des textes, il se pourrait que le fait de couper des arbres ne soit pas comptabilisé comme émission de CO2 alors que le fait d'en planter donnerait accès à des crédits carbone! La situation est potentiellement catastrophique: un pays ou un industriel risque d'obtenir des crédits d'émissions en rasant une forêt ancienne pour replanter ensuite des essences à croissance rapide, entraînant la destruction d'un écosystème précieux et l'émission d'une quantité importante de CO² par la végétation détruite et le sol mis à nu...

Ces activités forestières additionnelles, proposées principalement par le « juscanz » (Japon, Etats-Unis, Canada, Nouvelle-Zélande, Australie, Suisse, Norvège) et l'Amérique Centrale et soutenues par certains pays européens, en particulier la France, la Suède et la Finlande, risquent d'entraîner une hausse de 5 à 10% des émissions par rapport à l'objectif de Kyoto... Bref, ce système pourrait nous mener vers un statu quo, peut-être même vers une augmentation des émissions de 5%...

Transfert de technologies polluantes

Une autre échappatoire qui pourrait torpiller le protocole vient du Mécanisme de Développement Propre (MDP). Son but officiel est le transfert de technologies, notamment de production et d'économie d'énergie, du Nord vers le Sud. Le Luxembourg investirait par exemple dans un parc éolien en Inde, considérant que, privée de cet investissement, l'Inde opterait pour une centrale au charbon. Les tonnes de CO² évitées seraient ensuite converties en crédits d'émissions pour le Luxembourg, qui ne devrait plus réaliser cet effort dans les limites de ses frontières.

L'idée d'un transfert de technologies propres est a priori bonne. Greenpeace lutte cependant pour obtenir une liste positive des technologies éligibles dans le MDP afin de promouvoir uniquement le transfert de technologies réellement renouvelables et propres. En effet, certains pays et lobbies industriels voudraient détourner ce mécanisme à leur profit pour "fourguer leur « saloperie »... L'industrie nucléaire, entre autres, cherche désespérément à conquérir des marchés dans les pays du Sud. L'industrie du charbon, en perte de vitesse, a mis au point des centrales électriques au "charbon propre" pour les pays du Sud, notamment pour l'Asie où la consommation d'énergie explose littéralement.

Ce serait donner une légitimité écologique inacceptable à l'industrie fossile et nucléaire que d'accepter des technologies polluantes et dangereuses et d'octroyer des crédits d'émissions permettant à ces industries de se développer dans les pays du Sud! Le recours systématique à ce mécanisme risque d'entraîner un surplus d'émission d'au moins 3% par rapport à l'objectif de Kyoto (voir graphique).

Toutes ces questions devraient être tranchées à la Haye en novembre 2000, lors de la 6ème Conférence des Parties à la Convention Climatique (COP6). L'issue de cette conférence influencera de manière décisive l'intégrité environnementale du Protocole. En effet, bien que cet instrument de lutte contre le changement climatique soit le seul accord international contraignant qui offre un début de réponse, le Protocole de Kyoto est aujourd'hui menacé de toute part. Il pourrait non seulement ne pas atteindre son objectif - déjà insuffisant - mais en plus devenir un outil de destruction des forêts primaires ou de promotion de technologies dangereuses comme le nucléaire!

Hélène Gassin, Bernard Huberlant

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