Le nucléaire en France,
une politique dépassée

Par Corinne Lepage - paru dans le quotidien "La Tribune" du 26 août 2003

La canicule aura eu un mérite : obliger à ouvrir un débat sur le nucléaire que le gouvernement avait tenté d’occulter avec la pseudo consultation sur l’énergie destinée à légitimer la réalisation de l’EPR, dont le caractère obsolète et dispendieux est reconnu par nombre d’experts.

Du dogme à la transparence

Tout d’abord, l’idée selon laquelle l’énergie nucléaire était LA REPONSE au changement climatique est battue en brèche. Nos centrales ne supportent pas les hausses de température qui rend leur fonctionnement à la fois dangereux pour la sûreté de nos concitoyens et périlleux pour l’environnement.

Le culte du secret et de l’opacité a permis à EDF et au Ministère de l’industrie de ne pas informer honnêtement les Français des difficultés liées au réchauffement du cœur des centrales. Présentée comme un simple exercice, la tentative de les rafraîchir en utilisant des lances d’incendie a échoué et nous ignorons le niveau de risque d’excursion critique auquel nous sommes parvenus. En revanche, l’absence d’autorité de sûreté indépendante, digne de ce nom, apparaît, une fois encore, insupportable.

Des menaces de coupures ont été émises dont nul ne sait à ce jour s’il s’agissait d’un chantage à l’énergie ou d’une réelle anticipation de difficultés de production pour satisfaire les seuls besoins de la France ? Dans le même temps, les centrales se sont transformées en outils d’aggravation du réchauffement. En effet, la hausse de la température extérieure, qui échauffe les parois des centrales, jointe à la hausse de la température de l’eau ont rendu le refroidissement aléatoire cependant qu’il entraînait un réchauffement des cours d’eau incompatible avec les normes réglementaires imposées à l’exploitant et avec les règles communautaires qui interdisent les dérogations accordées par Madame Bachelot. Malgré les exhortations de la ministre assurant que les poissons s’adapteraient, les conséquences désastreuses de ces décisions sont vérifiables.

Dès lors, pour prouver que le nucléaire peut survivre en période de canicule, il faudra que nos ingénieurs travaillent sur d’autres types de centrales, par exemple des centrales sèches, c’est-à-dire, ne nécessitant pas la présence de fleuve pour alimenter les circuits de refroidissement, technologie écartée par EDF à la fin des années 70, à une époque où nous étions déjà un certain nombre à réclamer un examen plus approfondi de cette solution alternative. Si l’épisode de cet été devait se reproduire, ce qui est malheureusement plus que probable, la technologie actuelle n’est pas la solution pas plus que le fameux EPR, qui a ce sujet, n’apporte aucun progrès. La question de la relève du parc actuel est donc posée, non pas comme L’EVIDENCE qui a été présentée lors du faux débat du printemps, mais comme une réelle interrogation technique, soigneusement dissimulée jusqu’à cet été.

De la propagande aveugle à la prévention des risques

Or, précisément, la poursuite éventuelle du programme nucléaire passe également par l’abandon de l’habitude très hexagonale, de nier l’existence d’une difficulté, ou variante fréquente, qualifier de polémique politicienne toute question qui dérange. Au cours des deux dernières années, 3 questions pourtant majeures pour la sécurité et la sûreté des Français sont apparues, alors que leur existence même avait toujours été niée par EDF.

Or, il ne peut, évidemment y avoir maintien et a fortiori poursuite du programme nucléaire que pour autant que la sécurité soit parfaitement assurée. Or, ces trois points, dont la pertinence avait toujours été niée, créent un risque qui doit être prévenu, et qui, à ce jour, ne l’est pas.

D’une production mercantile à un service public sécurisé.

Enfin, la politique d’EDF est brutalement mise en en cause, au moins sur deux volets. Le premier est celui de l’exportation. Sans que les Français n’aient jamais été consultés sur le point de savoir s’ils acceptaient de devenir le pays exportateur d’électricité nucléaire dans toute l’Europe- ce qui était une nécessité technique due à la surcapacité organisée et volontaire d’électricité- cette situation est une réalité dont les conséquences sont pleinement apparues cet été ? Les engagements contractuels d’EDF ont rendu très difficile la réduction de l’exportation, ce qui signifie clairement, que dans le contexte commercial, l’approvisionnement national n’est pas une priorité absolue.

Ainsi, ce choix qui se double de celui de devenir une poubelle nucléaire, puisque, en réalité nous stockons de manière quasi définitive les déchets issus du retraitement (les réexpéditions aux clients sont en effet rarissimes) s’accompagne de la nécessité de réaliser des infrastructures traversant aujourd’hui les Pyrénées, demain les Alpes, et défigurant des sites admirables. Faut-il poursuivre dans cette voie, alors même que nos voisins sortent tous progressivement du nucléaire, nous contraignant ainsi à devenir leurs fournisseurs au moyen d’une technologie jugée par eux suffisamment dangereuse pour qu’il la rejette.

De l’inconscience irresponsable au débat indispensable.

La seconde remise en cause est celle de la maîtrise de l’énergie. Il était de bon ton, avant l’été, de stigmatiser l’abandon par la France de sa politique de maîtrise de l’énergie initiée en 1973 et de faire croire qu’il s’agissait à nouveau d’une priorité. Il n’en était rien, et la meilleure preuve en est la campagne publicitaire lancée par EDF au début de l’été.en faveur de la climatisation. La réalité est que tout est fait et a été fait pour encourager les Français à consommer le plus d’électricité possible. A titre d’exemple, la disposition de la loi sur l’air prévoyant la limitation des publicités favorisant la consommation énergétique n’a jamais eu l’honneur d’un décret d’application. Aussi, entendre le ministre inviter les Français au civisme en limitant leur consommation énergétique avait quelque chose à la fois de pathétique et de déplacé. Désormais, la réduction des consommations devra devenir une réalité et un objectif politique.

Dès lors, le débat doit s’ouvrir, et nos concitoyens doivent y participer, pour permettre une réorientation indispensable et préalable à toute décision de poursuite du nucléaire :

Les partis traditionnels et le gouvernement doivent le comprendre et l’admettre, l’indépendance énergétique de la France n’est pas qu’un enjeu technologique ou économique, c’est aussi un choix de société et un pari démocratique. Une nouvelle voie politique doit être choisie, c’est une des leçons des difficultés et drames vécus cet été.