Retour


Mexico

Je l’ai vu à la télé! Je vous dis que je l’ai vu à la télé! Oui! Oui! Vous n’êtes pas au courant? Eh bien! On n’arrête pas le progrès. Maintenant on va pouvoir respirer de l’air vraiment pur. Après « le linge plus blanc que blanc », pourquoi pas « l’air plus pur que pur »? Je vois déjà la pub! Vous me direz, à Mexico (oui c’est à Mexico que ça se passe), à des 2000 mètres d’altitude, c’est pas dur de trouver de l’air pur. Alors là, je vous arrête! C’est dur, c’est très dur, c’est plus dur que dur! Là-bas, il y a plus de bagnoles que de rats dans les égouts! Alors pour l’air pur!!! Mais, ils sont pas bêtes les mexicains, ils ont trouvé le truc. Rêvez un peu. Vous êtes à Mexico. Le soleil vous cogne la nuque. Vous vous baladez tout suant dans les rues. Les bagnoles font un bruit d’enfer. Vous toussez parce que tous ces gaz d’échappement vont gratter vos poumons jusqu’au fond. Et juste au moment où vous commencez sérieusement à regretter Paris avec sa petite pollution triste, la merveille apparaît.

Ça fait penser à une sorte de cabine téléphonique en verre bleuté. Pour entrer, on paie d’abord: 10 dollars, 20 dollars au choix! . Quoi? Vous pensiez que c’était gratuit?! Eh! ça coûte tout ça. L’air gratuit, c’est l’air pourri! Normal, non? Alors vous mettez vos dollars... Oui, on paie en dollars. Pourquoi? Est-ce que je sais, moi? Est-ce que tout ne peut pas se payer en dollars à Mexico? La porte s’ouvre, vous entrez. Puis tout se referme, hermétique, et clac! Il y a des boutons pour choisir le parfum: citron vert, rose des sables, fruit de la passion, chlorophylle et tout ça. Et la machine se met en marche. Ça ronronne, ça frémit, un souffle passe, ça y est, vous respirez le bon air pur.

C’est pas de l’air, d’ailleurs, c’est mieux, c’est le grand luxe: oxygène pur plus parfum! Ah! Je sais! On pourrait démocratiser, faire moins cher avec un mélange moins « classe »: 50% d’oxygène, 50% d’air de la rue. Et pas besoin de parfum, ça sentirait assez fort comme ça. Il faudrait y penser. Mais en attendant, vous êtes assis, là dans votre cabine en verre bleuté et vous fermez les yeux. La cabine est très bien insonorisée, on n’entend presque pas les bruits de la rue, l’oxygène vous emplit les poumons d’un flot d’énergie. Le paradis! Deux minutes de paradis.

Et après? Après on repart dans la rue frénétique, jusqu’à la prochaine cabine où on en reprend pour deux minutes. Mais en fermant les yeux pour ne pas voir les jeans en loques des gamins qui s’attroupent et vous regardent d’un oeil curieux, envieux peut-être. Il y a des gens qui n’aiment pas ça, qui voudraient qu’on ne puisse pas les voir dans leur cabine, qu’elle soit toute en métal avec rien qui dépasse. Mais peut-être bien que ça gâcherait le plaisir.

Moi, je n’y suis jamais allé à Mexico. C’est la télé qui a tout vu. Je me contente des cabines téléphoniques. Mais parfois, je rêve. Je rêve que je marche dans les rues de Mexico sous le soleil brûlant. L’air est lourd de fumées et de gaz. Les camions rugissent. Je respire de plus en plus difficilement. Voilà la cabine d’air pur! Mais je n’ai pas mes 10 dollars. La porte refuse de s’ouvrir et tout autour de moi dans leurs jeans en loques les enfants de Mexico rient doucement.

Pierre Lallemand